Auriez-vous osé...?
Leçon d'orthographe : ne pas confondre les sons [m] et [n].
Consigne : complète les mots avec les lettres M ou N.
Les mots sont au tableau, l'endroit à compléter est souligné.
Un par un ils m'amènent leurs feuilles au bureau, guettant qui le "très bien" avec un grand sourire, qui le "bien", ou peut-être juste "vu", avec déception (ou résignation) pour celui qui a fait des gros pâtés partout...
Lui aussi me présente sa feuille pour correction, sans un mot, sans me regarder. Je lis.
(Heureusement que j'étais assise.)
Je le regarde. Il baisse les yeux. Je regarde sa feuille à nouveau.
Un grand, un looooooong blanc, parce que je ne sais pas bien quelle est la meilleure façon de réagir, ni même quelle sera ma réaction tout court d'ailleurs, je suis littéralement soufflée par ce que je lis.
Je le regarde longuement, j'essaye de lire dans ses yeux, l'a-t-il fait exprès, se rend-il compte, réprime-t-il un sourire ? Non, pas de sourire. De mon côté je crois qu'un peu de vapeur s'échappe de mes oreilles, mais extérieurement je suis extraordinairement calme. Je crois bien en fait que si je bouge un cil, j'explose.
Je prends une grande inspiration. Debout à côté de mon bureau, il n'a toujours pas bougé, ce qui me donne un indice : il se sait coupable, sinon il y a longtemps qu'il se serait manifesté devant mon silence.
Je pousse la feuille devant lui, je lui demande de m'expliquer ce qu'il fallait faire dans cet exercice.
- Ben, fallait mettre un M ou un N dans les mots ?
Je pointe le C.
- Et ça, c'est un m ou un n ?
Il déglutit difficilement.
- C'est que je croyais qu'on avait le droit de mettre des autres lettres, des fois.
(Ben tiens donc...)
Je le regarde, longuement, il baisse les yeux.
Je pointe le mot, objet de mon interne courroux.
- Qu'est-ce que tu penses de ce mot que tu as écrit ?
- Ben... c'est un gros mot.
- Et tu penses que je mettrais des gros mots dans un exercice ? Tu trouves ça normal ?
- Ben... non.
- Va me chercher ton cahier de liaison.
Regard implorant, oh nooon, pas un mot dans le cahier !, moue désespérée, geste d'énervement en retournant à sa place... Enfin j'ai déclenché une réaction, ouf.
Speech, morale, c'est inacceptable, etc, en même temps que je demande par écrit aux parents de signer la leçon, "au vu du vocabulaire utilisé par leur fils".
L'échange s'est déroulé à voix basse, et pendant qu'il retourne à sa place je prends conscience qu'il n'y a pas un bruit dans la classe. Tout le monde s'applique, personne n'a visiblement envie de se faire remarquer. Je me dis que je dois avoir l'air vraiment vraiment fâchée...
Effectivement je fulmine, et pas qu'un peu. Je n'en reviens pas. Comment a-t-il pu oser ? Parce qu'il est très clair maintenant qu'il l'a bel et bien fait exprès, il vient de le reconnaître.
Ce n'est pas un caïd, ni un meneur, vaguement provocateur mais jamais ouvertement. Plutôt du genre à chercher la petite bête dans ce que je dis, la faille, la contradiction (ce qui est assez pénible d'ailleurs). Ah ben tu parles... tu vas la trouver, la bête. La grosse, celle qui a un stylo rouge, tu la connais...?
Petit effronté, tsssss.
9 ans, neuf ans que je donne cet exercice à des CE1, jamais, ja-mais, JAMAIS je n'ai entendu/lu ce mot à cette occasion, je n'y ai même jamais pensé moi-même (et ne venez surtout pas me dire que c'est moi qui cherche...)
Franchement, 7 ans, je trouve que c'est un peu tôt pour avoir l'esprit mal tourné.
D'ailleurs là non plus je ne l'ai pas entendu, ce mot. Lorsqu'à 16h25 je lui ai rappelé qu'il devait emmener sa leçon et qu'il n'avait pas intérêt à la ramener non signée, un voisin a demandé pourquoi (petit curieux, ça te concerne ?) et son complice habituel a chuchoté :
- C'est à cause du gros mot qu'il a mis dans l'exercice...
Donc l'entourage savait. Attendait ma réaction. Personne ne s'est esclaffé bruyamment, comme ç'aurait pu, aurait dû logiquement arriver, non, rien du tout. Silences et regards entendus, limite horrifiés, pas un seul rire.
Ils avaient conscience de la gravité de l'affront... et ça, ça me rassure. Un peu.
Comment, vous voulez voir vous aussi ? Ha. Voici, donc.
Comment, on ne voit pas bien ? Alors voilà :