ça déborde, ça coule...
La maîtresse a pleuré aujourd'hui. En classe, oui. Et devant ses élèves, oui oui... ça ne se fait pas, hein ?
C'est Vivi. La volubile, dynamique et souriante Vivi.
Elle a une vilaine tête depuis quelques jours, elle est triste, ailleurs, elle ne joue plus avec ses copines aux récrés, elle reste assise toute seule dans un coin, et même si moi je sais déjà pourquoi, je ne peux pas en discuter avec elle avant qu'elle-même ne m'en parle. Plusieurs fois depuis plusieurs jours je lui ai demandé si tout allait bien, mais elle me répond à chaque fois "oui oui" d'un air qui refuse toute investigation plus approfondie. Alors je n'insiste pas, quand elle sera prête elle viendra...
Et puis ce matin, elle s'est inscrite au "Quoi d'neuf ?", 'savez, c'est quand ils ont quelque chose à raconter à toute la classe, ils s'inscrivent sur la feuille planning-Quoi d'neuf et viennent au tableau en début de matinée, 3 par jour pas plus sinon on ne s'en sort pas.
Vivi était la seule à s'être inscrite au "Quoi d'neuf" d'ailleurs ce matin, ça arrive, parfois il y a bousculade et parfois il n'y a personne.
Elle est montée sur l'estrade, très droite, a fixé un point dans le vide, et a déclaré d'une seule traite :
- Et bah moi mes parents y s'aiment plus assez et y vont se séparer et pis je vais aller habiter avec maman et on va déménager en normandie (juste 600 bornes, quoi) et je vais changer d'école et je vous verrai plus. Et mon papa aussi il reste ici.
OUTCH.
Dans la classe, grand silence.
Brisé par ce balourd de Baba, "Hééé, Vivi, on dirait qu'elle pleure !!!!", lequel a reçu un gros coup de coude de sa voisine, "Evidemment qu'elle pleure, tu te rends compte ?", puis s'est fait percuter de plein fouet par mon regard. Noir, le regard, très noir.
La voir comme ça sur l'estrade la pitchoune, la tête haute, le regard droit sur le mur du fond, le menton tremblotant et les yeux remplis de larmes.
Toute petite du haut de ses presque 7 ans.
Courageuse.
Bah bien sûr les larmes sont montées chez moi aussi, pas pu empêcher ça...
Me suis levée pour aller au bureau, ne regarder personne en attendant que l'émotion redescende, me suis arrêtée à côté de Vivi et lui ai fait un gros bisou, puis j'ai farfouillé dans mes papiers sur le bureau en tournant le dos à la classe, des fois que l'eau s'évapore hop d'un coup d'un seul,... Tu parles. "Assume ! et respire !", me suis-je dit. Vite, essuyer discrètement du bout du doigt derrière les lunettes (pour une fois que je les portais !) ce qui commence à déborder, mouaich, raaaah v'là qu'ça coule sur les côtés, de toutes façons tu as été vue. Hop, on tamponne, on se mouche, on se retourne et on sourit.
Après tout, une maîtresse a le droit d'être touchée par la tristesse de ses loulous aussi, nan ? (pfiouuu !)
"Bon allez, on se met au boulot ! Lala, distribue les cahiers verts des CE1 s'il te plaît, vous écrivez la date, et Zézé tu donnes les cahiers bleus, les CP vous commencez par l'écriture, aujourd'hui c'est le E majuscule. Allez hop hop hop !"
Plus tard dans la journée on en a reparlé, en petit comité. Je lui ai dit que si elle voulait écrire à la classe l'an prochain, nous lui répondrons avec plaisir. Qu'elle va nous manquer, mais que gentille et dynamique comme elle est, sa future maîtresse sera forcément contente d'avoir une nouvelle élève comme elle (ah ça par contre, moi je perds un moteur, c'est sûr !) Elle m'a expliqué qu'au début, elle va habiter chez ses grands-parents. Et qu'en fait, dès que papa aura trouvé un nouveau travail là-haut, il les rejoindra pour habiter pas trop loin d'elle et de sa petite soeur.
Elle a retrouvé le sourire en me racontant ce qu'elle avait fait chez ses grands-parents cet été, et qu'ils ont des chevaux, et une tortue, et...
...
Que va-t-il se dire dans les maisons ce soir ? "Et ben la maîtresse, ce matin elle a pleuré" ?
Ben ouais.
(ça, pour une première...)